La cartographie Navionics devient-elle dangereuse [MAJ] ?

Depuis le début de la saison de navigation, de nombreux plaisanciers ont constaté une multiplication des erreurs sur les cartes Navionics, à la suite des récentes mises à jour, tous supports confondus. Un peu partout en Europe, Allemagne, Pays Baltes, côtes françaises de la Manche et jusqu’en Espagne, sont apparus des chenaux inexistants et des sondes erronées, des sondes disparues, des informations absentes, des informations bathymétriques contradictoires selon les niveaux de zoom, et j’en passe. Le plus important est que ces constatations sont faites par des utilisateurs assidus de la cartographie Navionics de longue date, des navigateurs expérimentés.

[MAJ corrective 26 août 2015]
[MAJ-2 rectificative octobre 2015] Voir fin d’article.

Le premier à m’en avoir informé est Jochen Lührs, le traducteur allemand de iNavX, avec qui j’ai récemment collaboré pour la rédaction du tutoriel iNavX dans cette langue. Il a envoyé au support de Navionics un mail documenté avec des captures d’écran des nombreux défauts constatés pendant ses navigations estivales. Dans le même temps, plusieurs fils de discussion sur le sujet ont été développés sur le forum français Hisse-et-Ho ou la fronde s’organise. Certains contributeurs de ce forum ont envoyé également au service help@navionics.com leurs constatations. Ce forum étant public, j’en extrais quelques citations révélatrices, les auteurs se reconnaîtront :

« De retour de Hollande, j’ai constaté de nombreuses différences entre les sondes réelles (corrigées des écarts éventuels de marées) et les valeurs du sondeur. De retour en France, je suis étonné de découvrir sur les nouvelles versions des cartes Navionics un chenal autour de l’ile de Tatihou près de St-Vaast-la-Hougue. »

« J’ai fait il y a plus de 6 mois la tentative de signaler à Navionics que les nombreuses lignes de sonde dans le petit port de Burela en Galice étaient complètement délirantes par rapport aux sondes des cartes officielles et de toutes les autres cartes électroniques. »

« […] en comparant, pour Perros-Guirec, la carte Navionics SonarChart mise à jour il y a quelques jours avec la carte Navionics ordinaire : des canaux martiens surgissent sur l’estran devant le port, et, ô surprise, il y a maintenant deux bancs qui découvrent devant deux pontons, dont le mien (Pour ceux qui ne le savent pas : la digue découvrante qui entoure le port assure au minimum 2,5 m d’eau […] partout). »

Alors, qu’arrive-t-il à Navionics ? J’ai fait la promotion de cette cartographie, essentiellement pour iNavX, je l’ai largement utilisée et considérée jusqu’à ce jour comme étant certainement la mieux conçue et la mieux mise à jour des cartographies vectorielles privées. Malheureusement, l’orientation marketing de Navionics vers des choix hasardeux viennent confirmer les craintes que j’avais exprimées il y a déjà cinq ans (¹). La récente dégradation de la qualité des cartes en est indubitablement la conséquence.

SonarCharts et le partage communautaire

Le souci de maintenir l’application Navionics Boating (ex-Navionics Marine) au premier rang des apps de navigation pour mobile a généré l’idée lumineuse de proposer aux utilisateurs d’alimenter, par leurs propres relevés de sondes, des cartes bathymétriques appelées SonarChart. Ces cartes ayant pour unique but de servir à améliorer les profils des fonds marins pour la pêche plaisance. Navionics a donc développé le support de différents sondeurs parmi les plus utilisés par les plaisanciers. Les données relevées en temps réel au cours des trajets sont sensées alimenter une base de données communautaire à cet effet.

Il semble toutefois que la réalité soit un peu différente, et que les cartes SonarChart présentent plus d’informations interpolées que réellement collectées. Par ailleurs, quel crédit apporter aux données relevées par les navigateurs amateurs ? Comme l’expriment ces internautes :

« Je trouve absolument invraisemblable, voire criminel, que Navionics modifie ses cartes […] en utilisant des sondes communiquées par des utilisateurs qui ne sont pas réellement capables de donner des informations absolument exactes. »

« Quand on sait avec quel sérieux les relevés hydrographiques des services officiels sont effectués (même s’ils sont anciens) on peut rester pantois devant le fait qu’un plaisancier ordinaire, souvent incapable de faire un calcul de marée par la règle des douzièmes, puisse transmettre des informations affectant la sécurité des navires à un fournisseur de cartes électroniques. »

J’adhère d’autant plus à ces remarques que je me suis déjà exprimé dans ce sens par le passé (¹). Mais ce n’est pas le pire.

Cartes Navionics nautiques et SonarCharts

Dans l’application Navionics Boating, on peut alterner entre la carte dite « nautique » et la carte SonarChart. La première étant à usage de navigation et la seconde à usage de pêche. C’est ce qu’exprime le service client de Navionics à un utilisateur en réponse à un rapport d’erreur, je cite :

« […] Nous vous rappelons également que la couche Sonarchart ne convient pas pour une navigation en toute sécurité, elle est utile pour localiser les zones de pêche à tout niveau de profondeur. Pendant la navigation, assurez-vous que vous avez activé les cartes nautiques.
Navionics Service clientèle ».

Réponse surprenante au regard de la sécurité maritime. D’autant plus surprenante que les récentes mises à jour des cartes Navionics (tous supports confondus) présentent de nombreuses incorrections qui semblent directement issues des données présentes dans les SonarChart, impossible à corriger dans iNavX ou sur un traceur puisque ceux-ci ne présentent pas d’alternative d’affichage.

Ci-dessous les deux versions de la même carte dans Boating HD, mais il semble y avoir une inversion. La carte de droite devrait être la Navionics « navigation », et j’espère que l’absence de sonde a été corrigée ultérieurement (je n’ai pas souscrit à Navionics+).

Carte Navionics (navigation) à gauche, SonarChart à droite. Les cartes semblent inversées. J’ai des sondes à gauche, pas à droite. Ce n’est cependant pas la dernière mise à jour.

A gauche, les deux chenaux en bleu n’existent pas et présentent un risque d’échouement. Cette zone est couverte de parcs à huitres, seules les vedettes à moteur y passent au-dessus de mi-marée. On retrouve la même carte dans la dernière mise à jour Navionics Gold 46XG pour iNavX (depuis le serveur X-Traverse) :

A gauche les chenaux inexistants issus de SonarChart dans iNavX. A droite la plus récente carte raster NV Chart issue du SHOM

Autre exemple à Perros-Guirec, deux mises à jour successives avec apparition des « canaux martiens » (voir plus haut) évoqués par un contributeur. Il est bien entendu que ces chenaux sont totalement farfelus.

Deux versions successives de SonarChart. De plus en plus d’informations erronées.

Ci-dessous, la version Navionics « navigation » (correcte) comparée à la carte raster NV Chart issue du SHOM. On retrouve à quelques détails près la même carte Navionics dans iNavX (en effet l’alignement des deux feux de guidage à 224° n’est pas tracé).

La carte de gauche dans Boating HD en sélectionnant « Navionics » n’a pas été modifiée et semble correcte.

Cartes publiques ou privées ?

Si Navionics ne prend pas rapidement conscience de la dégradation rapide de ses produits, il est fort probable que les navigateurs se tourneront vers d’autres solutions plus sécurisantes. Avec l’avènement rapide de l’Open Data au sein des administrations Européennes, les plaisanciers vont certainement accéder à des cartographies publiques à moindre coûts, voire gratuites à terme. Aujourd’hui, il est déjà possible d’utiliser dans Weather4D sous Android la totalité du portefeuille électronique raster du SHOM (60 €/an) , de l’UKHO, et d’autres éditeurs officiels. Ce sera bientôt disponible dans la future version sous iOS. L’application SEAiq permet également d’utiliser la cartographie vectorielle ENC S-57 officielle.

Les solutions vectorielles privées (Transas TX-97, Navionics, BlueChart, C-Map, etc.) devront atteindre un sacré niveau d’excellence pour maintenir leur modèle économique le jour où les cartes des services hydrographiques Européens seront aussi libres que celles du NOAA. Également afin de faire face aux outsiders qui pointent depuis quelques temps sur le marché (²). Et ce n’est certainement pas une bathymétrie aléatoire qui fera la différence, il faudra y mettre un peu plus de sérieux et de professionnalisme.

[MAJ corrective 26 août 2015]

Le dossier Navionics 46XG mis à jour daté du 26 août 2015, disponible pour iNavX sur le site X-Traverse.com, a fait disparaître les « canaux martiens » litigieux. Cette mise à jour n’a pas encore fait l’objet d’une annonce par mail de Fugawi comme à l’accoutumée lors des mises à jour majeures. Merci à l’utilisateur qui vient de m’en avertir. Pas d’info concernant les autres dossiers.

[MAJ rectificative 17 octobre 2015]

Les dernières mises à jour d’octobre ont fait disparaître les données bathymétriques issues de SonarCharts de toutes les cartes standards. Mais Navionics n’abandonne pas pour autant les SonarCharts, argument de vente majeur.

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(¹) Navionics Mobile et le partage communautaire
(²) Cartographie Raster… le grand retour
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14 Replies to “La cartographie Navionics devient-elle dangereuse [MAJ] ?”

  1. Je navigue depuis plusieurs années en Méditerranée Orientale et je mettais les erreurs de bathymétrie sur la mauvaise qualité des organismes officiels de cartographie. Mais je suis surpris que ces erreurs existent aussi en Europe et en France.
    Quant à Sonarchart, c’est de la fumisterie. actuellement (24/09/15 12:30), je suis au mouillage au Capo Colonne, vers Crotone. Sonarchart me donne des fonds de 0,5 à 1m dans toute la zone, alors qu’au sondeur, j’ai 5 mètres.

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